Le bonheur, ce sentiment qui nous exalte telle une injection d'héroïne après une semaine de privation, qui nous fait planer tel un nuage au dessus des forêts d'un printemps tropical, qui fait vibrer la moindre parcelle de notre corps et qui nous donne des frissons jusqu'à la pointe des cheveux. Le bonheur, cet objet de luxe, tant convoité et pourtant si rare, encore plus rare que le diamant et les émeraudes, encore plus rare qu'une goutte d'eau dans cet univers infini et pourtant, on ne désespère jamais de le trouver...
Depuis l'aube des temps, l'homme s'était lancé dans ce qui allait devenir la plus grande quête de sa vie : la recherche du bonheur... Une quête devenue si inévitable qu'en 1776 la déclaration d'indépendance américaine déclarait la recherche du bonheur comme un droit fondamental de l'Homme.
Et pourtant, le bonheur reste un droit fondamental dont rares sont ceux qui jouissent, un objet de convoitise qui change souvent de propriétaire et dont les effets ne sont qu'éphémères et pourtant, l'humanité n'arrête pas de payer le prix cher pour l'atteindre.
Nous avons détruit des forêts entières, épuisé dans les ressources naturelles jusqu'à leur pénurie, massacré des animaux jusqu'à leur extinction, pollué l'atmosphère jusqu'à la suffocation pour une maison en bois au bord de la mer, des meubles Louis XIV, une voiture climatisée avec sièges en cuir, un écran plasma géant, un manteau en cachemire, un trophée de chasse accroché au dessus de la cheminée, une statue en ivoire pour décorer le salon, un téléphone portable qu'on changera au bout d'une année car démodé, un jouet Kinder qui finira au bout d'une semaine au fond de la poubelle...
Dans notre quête du bonheur, nous avons causé notre propre malheur et celui des générations futures sans même nous en apercevoir, nous avions confondu deux concepts complètements différents : une obsession qu'est le bonheur et une maladie qu'est le confort. Nous pensions que le meilleur moyen d'atteindre le bonheur était d'assurer le confort alors qu'en réalité, le confort est le meilleur moyen pour s'éloigner du bonheur.
Le confort, cette maladie contagieuse qui nous hante, ce besoin jamais insatiable que nous nous entêtons à vouloir satisfaire, un entêtement si aveugle qu'on n'arrive pas à voir la réalité des choses est qui est que plus nous arrivons à satisfaire une partie ce besoin et plus il grandit... Cependant, les multinationales et les lobbies ont très bien compris ce dilemme; alors, ils sont passé de la recherche des besoins des gens à la création du besoin chez les gens... On est passé du téléphone fixe au téléphone portable car c'était une nécessité, les gens se déplaçant de plus en plus, mais vinrent ensuite l'option SMS que personne n'avait demandée suivi des appareils photos incorporés, le MMS, les radios intégrées, les lecteurs mp3, les interfaces USB, les jeux, les lecteurs vidéos, les applications, le bluetooth, les mémos, les agendas, les répondeurs, l'écran tactile, l'internet, le GPS, le double SIM, la télévision, et désormais le 3D et dans un futur proche des systèmes d'exploitation complets et des hologrammes... Moi, je suis resté fidèle à mes besoins réels : la communication verbale et les doubles SIM sont tout ce que je demande d'un téléphone : ce n'est qu'un outil de travail et non pas une fin en soi...
En seulement une trentaine d'années, on s'est retrouvé avec une panoplie de services et produits dont nous n'aurions jamais eu besoin si d'autres gens, dans leur propre quête du bonheur et par suite du confort, ne s'étaient pas amusés à inventer. Même le lait est devenu un produit complexe à acheter : tant de marques et tant de compositions chimiques et pourtant, ce qui compte réellement, c'est la substance d'origine, ce liquide que nous offrent les vaches.
Ainsi, notre quête du bonheur, transformée en une quête du confort, a réussi de faire de nous des machines froides et indifférentes, toujours à la recherche de nouvelles fonctions à incorporer sans jamais se soucier des conséquences de ces améliorations.
Moi, je suis né dans une famille qui était à l'époque très riche, une villa à quatre étages dans l'une des citées les plus chics, une facture de téléphone qui atteignait par moments les millions de dinars, et je n'exagère pas en annonçant ce chiffre, un jardin avec des arbres fruitiers de tout genre, une maison de vacances, un chauffeur... Mon père fût même le premier à incorporer cet objet de confort qu'est devenu obsolète et qui est la parabole. A l'époque, la police l'avait forcé à la démonter car ils pensaient que c'était un radar, ce n'est que deux ans plus tard que la parabole fût autorisée en Tunisie. Je vivais un rêve dont beaucoup de gens n'osaient même pas rêver, je pensais être au summum du bonheur et puis, un jour, j'ai connu une fille dont j'étais tombé follement amoureux, et j'avais compris que tout mon bonheur n'était qu'illusion.
Je pensais avoir enfin trouvé le véritable bonheur mais le destin en avait décidé autrement : une fraction de seconde, un moment d'inattention et celle que j'aimais plus que tout au monde n'était plus qu'un corps froid et inanimé. L'année suivante, mon père qui était commerçant, faisait faillite et nous perdîmes tout ce que nous possédions. Il ne nous restait plus qu'un appartement de trois pièces et quelques meubles usés. Par moment nous devions emprunter de l'argent pour pouvoir nous nourrir. Mon père avait du mal à se remettre du choc et à trouver du travail et ma mère ne travaillait pas et ne l'avait jamais fait. Nous dûmes subsister avec le peu d'argent que mon père rapportait d'une publinet qu'il avait ouvert suite à des crédits bancaires exorbitants. Nous vivions le jour ou jour, non, nous survivions... Je n'avais qu'un seul échappatoire : réussir mes études pour alléger le poids que supportait mon père et aider ma famille. Mais, le chemin était long et toutes les années qui restaient avant ma diplomation étaient comme une éternité, je ne pouvais point me permettre de vivre tout ce temps sans bonheur. Ajouté à cela que la seule femme que j'aimais était partie pour un autre monde, être heureux était devenu plus proche du mythe que de la réalité.
Je ne m'étais pas laissé abattre pour autant, j'ai continué mes études, fait de nouvelles connaissances, aimé de nouveau, m'étais découvert des dons que j'ignorais, devenu un amoureux du piano et du violon, appris la guitare, j'écrivais des poèmes, j'écoutais du rock mais aussi de la musique classique qui me faisait planer, j'apprenais à dessiner, j'avais acheté un ordinateur et appris le dessin graphique et la programmation, je lisais beaucoup, j'avais découvert la psychologie et la psychanalyse dont j'étais devenu un passionné; à la même époque je découvrais les mangas et les animes qui avaient vite remplacé les films, je suivais les actualités de près ainsi que les dernières percées scientifiques. Les quatre murs de ma chambre très étroite semblaient ne plus exister, je voyais au delà des murs un monde que seul moi pouvais voir : un monde ou tout était possible.
Je quittais la maison pour aller vivre avec ma tante et puis avec des amis, je faisais encore de nouvelles connaissances, plein de connaissances, énormément de connaissances, je m'engageais dans des associations et réalisais que j'étais capable de rendre le sourire à ceux qui l'avaient perdu et cela me réjouissait. Entre temps, mon père changea de travail et hérita d'une somme d'agent qui permit à ma famille de déménager vers un meilleur appartement. Je ne revins pas à la maison pour autant. Je voyageais à l'étranger pour la première fois depuis la faillite de mon père, grâce à un concours que j'avais passé, tout frais payés par l'état, les voyages se succédèrent, tous étaient subventionnés par des personnes ou des associations, je regagnais la foi en Dieu que j'avais perdu et priais à nouveau, je travaillais pour la première fois, je gagnais mon propre argent, je dépensais une part et gardait l'autre pour subventionner mes études, j'étais indépendant et je ne voulais plus demander de l'argent à mon père. Je grandissais de plus en plus mais mes besoins étaient restés les mêmes : une chambre à coucher, un ordinateur, un téléphone portable, une connexion internet et c'est tout. Mes amis, je les voyais à l'école, je retrouvais certains d'entre eux autour d'un café dans un café more par moments et dans des salons de thé quand mes moyens me le permettaient.
Avec le temps, mon père gagnait plus et ma famille vivait mieux, mais moi rien n'avait changé, l'ensemble de mes possessions qui se limitaient à un ordinateur, un téléphone portable, un abonnement de transport, un abonnement internet et quelques vêtements ne dépassaient pas les 3000 dinars. J'étais personnellement pauvre et pourtant très heureux, certainement plus heureux que je ne l'avais jamais été. Je ne dépendais de personne ni de rien. Tout m'était facilement dispensable. Je comprenais enfin pourquoi tant de forêts on été dévastées, tant d'animaux tués, tant de ressources épuisées, tant de guerres éclatées et d'humains massacrés sans que personne ne puisse achever sa quête du bonheur.
Aujourd'hui je suis un ingénieur, je vais commencer à travailler bientôt, je vais devoir acheter ma propre maison, je la meublerai et je voudrais qu'elle soit confortable certes mais je sais qu'aussi confortable puisse-t-elle être, elle ne me rendra pas plus heureux, ce qui me rendra heureux c'est de savoir que je pourrais y dormir le soir en sécurité avec ma future femme, de savoir que je pourrais continuer à y faire toutes les choses que je fais en ce moment et qui me rendent réellement heureux, que je pourrais y élever mes enfants en sécurité et que je pourrais leur apprendre la seule chose que personne d'autre ne pourra leur apprendre : depuis l'aube des temps, la plus part des humains avaient tort, le bonheur n'est pas une quête, le bonheur est un choix, un style de vie, le bonheur, à l'image du téléphone portable, est un outil. Le bonheur se cultive à la base de choses tellement simples : du savoir, des connaissances, de la musique, de l'art, de la culture, de la foi, du partage, de la fierté, de la persévérance, de sport, d'amour, d'amitié, de rires, d'un coucher de soleil, d'une baignade à l'aurore, d'un ciel étoilé, d'un peu de folie entre amis, d'un pique-nique en famille, d'un minimum de santé mais surtout, beaucoup d'altruisme...